Est-il raisonnable de laisser le pape s’exprimer en toute liberté dans les avions qui le ramènent de ses voyages ? François apprécie, tout autant que les journalistes qui l’accompagnent, ce format d’échanges, mais il y est coutumier de sorties fort peu contrôlées… La question se pose après les propos qu’il a tenus lors de son retour du long périple qui l’a conduit jusqu’en Papouasie et à Singapour.
Interrogé sur l’abbé Pierre, il répond avec une sorte de désinvolture lassée que, sans doute, le Vatican savait depuis au moins la mort du fondateur d’Emmaüs, et qu’il ne lui est « pas venu à l’esprit » de tenter d’en savoir plus. Il ajoute que l’homme était un grand pécheur, preuve s’il en fallait encore que, dans l’esprit du pape, la distinction entre le péché – contre la chasteté – et l’acte sexuel accompagné de violences n’est pas totalement claire. En effet, ce qui est reproché à l’abbé Pierre n’est pas son goût pour les femmes mais la prédation sexuelle compulsive constatée dès les années 1950 et que rien n’a stoppée, de sorte que l’impunité effective dont il a bénéficié l’a porté à s’attaquer à des personnes vulnérables et à des mineures – la plus jeune des victimes connues avait moins de dix ans.
Faut-il rappeler que le pape François n’a reçu ni Jean-Marc Sauvé ni aucun autre responsable de la Ciase et a laissé son proche entourage exprimer des doutes quant à la fiabilité des chiffres de son rapport final ? Ce dont le pape ne veut pas entendre parler, c’est ce que dénonce ce rapport, le caractère systémique des abus et de leur dissimulation, car le « système » n’est rien d’autre que le cœur même du catholicisme, le pouvoir exclusif et sacré des clercs, tous mâles et célibataires. Il faudra pourtant bien un jour regarder la réalité en face.
Mais, dans cet avion, François n’en est pas resté là et, interrogé sur les deux candidats à l’élection présidentielle américaine, il a tranquillement renvoyé dos à dos Trump et Harris, résumant l’actuelle vice-présidente à son engagement en faveur du droit à l’avortement, qu’il synthétise en un caricatural « tuer des enfants ». À Trump, il reproche ses propos antimigrants. On cherche en vain dans ses paroles la moindre nuance entre une femme engagée pour les droits et la justice et un menteur effronté. Il est temps que le pape remette les pieds sur terre.
Christine Pedotti
Photo : Mario Duran-Ortiz (CC BY-SA 2.0)
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