Les révélations de ces derniers jours, concernant l’abbé Pierre, nous plongent, je trouve, dans un monde étrange. Certains disent : «Enfin, les victimes peuvent parler.» Autres: « Nous voici de nouveau en train d’essayer de détruire l’Église. » et d’autres encore utilisent la formule : « Là où il y a l’homme, il y a l’humanité ; l’Église n’est pas une société de purs. »
L’abbé Pierre accusé d’agression sexuelle par plusieurs femmes
Ce que beaucoup savaient, puisqu’il l’a lui-même écrit, c’est que l’abbé Pierre avait des relations sexuelles. Ce que nous découvrons aujourd’hui, c’est qu’en plus de ces relations sexuelles que l’on pouvait supposer consenties, il avait des gestes sexuels, sans consentement.
En ce qui concerne les relations sexuelles consenties, nous savons tous que les prêtres ne respectent pas le célibat chaste ou mènent même une double vie. Si nous faisons un parallèle avec les personnes engagées dans le mariage, nous pouvons parler de « coup de poignard dans le contrat » ou de relations adultères. Le premier engagement n’est pas respecté. Pour le prêtre, à une époque où certains pensent ou prétendent aujourd’hui « Mon corps m’appartient et j’en fais ce que je veux »nous ne serons peut-être pas choqués.
Vivre dans la lumière
Mais on peut aussi se dire « Pourquoi ne pas vivre dans la lumière, qui semble être un second choix d’existence, vivre en couple ou semi-couple » ? Pourquoi des prêtres qui ont choisi librement le célibat consacré devant Dieu et devant les hommes ne quittent-ils pas officiellement cet état quand il ne leur convient plus ? C’est à la fois quelque chose qui touche à leur conscience personnelle, mais aussi à la connaissance officielle qu’en a le peuple des fidèles. Le peuple de Dieu qui se trouve alors trompé.
Affaire Abbé Pierre : peut-on envisager une procédure judiciaire ?
On est alors tenté de se poser la question : y aurait-il un avantage à rester prêtre et à vivre de manière cachée ou trompeuse ? Je me souviens d’un prêtre, qui avait commis des agressions sexuelles sur des femmes et avait reçu une sanction canonique, et qui avait répondu en apprenant la sentence : « Mais le peuple de Dieu va beaucoup perdre, car je ne pourrai plus le soutenir… » S’agit-il alors d’un orgueil excessif de la part des prêtres, qui se croient investis d’autorité et de pouvoirs surnaturels, qui les autorise ? « glisser de temps en temps » ?
Perdre certains avantages
Ou bien s’agit-il pour les prêtres d’une crainte de perdre certains avantages, que l’on pourrait appeler des bénéfices secondaires à l’état de prêtre : reconnaissance, considération… « Le critiquer, c’était critiquer Dieu » disent certaines victimes de prêtres. Mais aussi pour le prêtre peut-être la peur d’un quotidien fait de travail et de choses très ordinaires : peur de chercher un emploi, angoisse du quotidien des pères, se lever tôt pour aller travailler, réveils nocturnes liés aux insomnies et aux maladies des enfants, efforts à faire pour s’entendre avec un conjoint, chômage, handicap, divorces…
Ce que le rapport commandé par Emmaüs semble dire à propos de l’abbé Pierre, c’est que les gens savaient qu’il y avait un risque pour les femmes à être en contact étroit avec l’abbé Pierre. La question est alors encore plus complexe : pourquoi ces personnes qui se doutaient de quelque chose n’ont-elles pas parlé plus tôt ?
Affaire Abbé Pierre : les catholiques entre « colère », « déni » et « choc »
Pour l’abbé Pierre, un homme politique résistant connu pour son immense service et son dévouement auprès des pauvres, il me semble que l’on confond un homme avec ses actes. Un homme peut être bon, voire exceptionnel, un jour, et totalement pourri un autre jour. Les actes héroïques n’empêcheront malheureusement pas les actes mauvais. De même, les actes, une action terrible un jour, n’empêcheront peut-être pas de devenir un saint.
Enfermé dans le mal
Mais ce n’est pas à nous, simples terriens, de décider, de qualifier l’avenir d’une personne. Nous ne pouvons ni l’enfermer dans le bien, ni l’enfermer dans le mal. Nous ne pouvons pas nous transformer en Madame Soleil, nous devons rester objectifs et protéger les plus faibles.
Cette situation pose aussi la question de la place des laïcs. N’a-t-on pas osé jeter une ombre sur l’abbé Pierre à cause de son héroïsme pendant la guerre ou en faveur des pauvres ou parce qu’il était prêtre ? Nous avons souhaité, à juste titre, me semble-t-il, que son œuvre se poursuive. Son œuvre aurait-elle duré moins longtemps s’il avait été un simple laïc ? Fallait-il qu’il soit prêtre pour avoir cette reconnaissance indispensable pour être entendu ? Les gens étaient-ils sensibles au sacré qui descend sur terre ?
Reste chaste
Quand je parle aux séminaristes, je leur dis : « Si vous n’avez pas envie de rester chaste toute votre vie, n’y allez pas, et si un jour la tentation ou les désirs et les pulsions vous submergent, ayez la simplicité de changer de chemin. »
Changer de chemin, revenir à l’état laïc ne signifie pas perdre la foi ; changer de chemin, au contraire, permet de rester unifié dans son être en se respectant tel que l’on est, et en respectant le don de Dieu dans l’instant présent.
« En vérité » : l’ancien prêtre Jacques Arnould se confie
A l’inverse, se dissocier pour annoncer le kérygme d’une part et vivre de trahisons de son engagement, voire de délits ou de crimes, c’est emprunter une voie traversée de mensonges et où l’on distingue difficilement le Christ, vrai homme et vrai Dieu, qui est la voie, la vérité et la vie.
Respecter une femme
S’il est vrai qu’il existe une différence considérable entre une relation sexuelle consentie et des gestes et actes sexuels imposés, il n’en demeure pas moins que respecter une femme ou un homme, c’est leur offrir non pas « un plan d’un soir », mais une vie partagée où chacun peut se donner pleinement à l’autre.
La chasteté, exigeante mais libératrice
Alors une question me taraude : pourquoi ces hommes qui savent qu’ils ne respectent pas leurs engagements de chasteté restent-ils prêtres, pourquoi ne demandent-ils pas à quitter l’état clérical soit pour vivre une vie de couple, soit pour se faire aider s’ils ont des pulsions sexuelles incontrôlables ? L’Église sortira certes de cette situation très appauvrie numériquement, mais ô combien grandis, dans l’humilité et le service de tous.
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