35e Nuit des Molières : Thierry Frémont et Maxime d’Aboville se confient au JDD

L’homme est un loup pour l’homme ! Depuis six mois, la formule fait le bonheur du théâtre Hébertot grâce aux deux pièces les plus excitantes du moment, Pauvre Bitos ou le Dîner de têtes de Jean Anouilh et Le Repas des fauves de Vahé Katcha.

Avec le premier spectacle, donné à 19 heures, Maxime d’Aboville marche dans les pas de son mentor, le regretté Michel Bouquet, qui avait créé le rôle de Bitos en 1953 sous la houlette de Jean Anouilh, que « la noirceur faisait marrer ». Dans cette comédie grinçante sur l’épuration, Maxime d’Aboville incarne Bitos, un procureur aussi froid qu’une guillotine tranchant le cou d’un condamné.

Une fois le rideau tombé sur ce dîner de cons virant au jeu de massacre, il est temps d’enchaîner avec la seconde représentation à 21 heures, qui ne vous réconciliera pas plus avec les hommes et vous laissera même entrevoir les tréfonds peu reluisants de l’âme. Le Repas des fauves met en scène huit Parisiens sous l’Occupation, qui doivent décider qui, parmi eux, seront livrés à un officier SS pour venger deux Allemands abattus au pied de leur immeuble.

Sur ce sujet historique peu connu jusqu’ici pour sa dimension comique, l’adaptation de Julien Sibre, tout en acidité et en répliques cinglantes, réussit le tour de force de nous faire rire presque malgré nous. Magistral dans la veulerie, Thierry Frémont y interprète André, le riche propriétaire d’une aciérie qui s’accommode de la situation.

À l’occasion de la 35e Nuit des Molières, le JDD a réuni Maxime d’Aboville et Thierry Frémont, nommés tous deux dans la catégorie du meilleur comédien. Une masterclass exceptionnelle sur l’art et la vocation.

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Le JDD. Le Repas des fauves et Pauvre Bitos sont deux dîners « d’amis » qui dégénèrent. Le premier se déroule en 1942 pendant la Seconde Guerre mondiale, le deuxième quelques années plus tard, lors de l’épuration. La salle à manger serait-elle au théâtre un formidable lieu de règlements de comptes ?

Maxime d’Aboville : Le dîner, c’est ce moment où on se libère un peu, où l’alcool aidant, l’estomac flatté, on débride aussi ses instincts. Les pièces dites « de repas » ont quelque chose d’un peu choral. Avec le temps, je me suis rendu compte que même les personnages qui ne font qu’écouter prennent une dimension énorme.

Michel Bouquet, mon mentor, disait souvent qu’au théâtre, celui qui écoute est beaucoup plus intéressant que celui qui parle. Dans les constructions classiques, il y a souvent deux personnages sur scène, l’un part, l’autre arrive. On passe alors à la scène deux, et ainsi de suite. Là, tout le monde est sur le plateau tout le temps. Il y a bien une spécificité dans le jeu et une ambiance assez jubilatoire parce qu’on est vraiment dans la troupe. On la sent autour de soi, plus fortement encore.

Thierry Frémont : C’est très agréable de jouer au sein d’une troupe parce qu’on est obligé de s’écouter et de s’entendre. Il y a ce quelque chose d’indéfinissable qui favorise la camaraderie. On le sent immédiatement. Comme dans une équipe de rugby, on est tous ensemble.

Michel Bouquet a créé ce personnage de Bitos en 1956, qu’il a repris ensuite en 1967. A-t-il évoqué avec vous ce qui fut sans doute le rôle de sa vie  ?

M. d’A. : Oui, bien sûr, mais il en avait aussi parlé à son ami Francis Lombrail, le directeur du théâtre Hébertot, avec qui il avait joué À torts et à raisons, de Ronald Harwood, en 2016. Il lui avait même glissé : « Si tu peux endosser un rôle, tu verras, celui de Mirabeau est magnifique. »

ix ans plus tard, Francis Lombrail a non seulement exaucé le vœu de Michel Bouquet, mais il incarne aussi le personnage de Vulturne/Mirabeau qui a cette phrase actuelle : « Ceux qui parlent trop souvent de l’humanité ont une curieuse tendance à décimer les hommes. »

Avez-vous vu le film de Christian-Jaque de 1964 avec Claude Rich, Francis Blanche et Dominique Paturel, avant de jouer Le Repas des fauves ?

T. F : Oui, je le connaissais d’autant mieux que j’avais eu moi-même l’idée d’en faire une adaptation pour le cinéma en le voyant. J’en avais parlé avec un copain, l’acteur Pascal Elbé. Mais nous avons fait fausse route en nous adressant à la famille d’Henri Jeanson, le dialoguiste du long métrage.

Non, le mieux était de revenir à la pièce initiale écrite par Vahé Katcha en 1960, ce qu’avait entrepris intelligemment Julien Sibre. Sans doute mieux encore que moi. J’étais très heureux lorsqu’il a fait appel à moi. J’avais été tellement séduit par le pitch quand même extraordinaire de cette pièce…

M. d’A. : Oui, c’est génial et surtout un très bon moyen de révéler ce que chacun a dans le ventre.

Peut-on imaginer que vous inversiez vos rôles ? Thierry Frémont jouerait Pauvre Bitos et Maxime d’Aboville Le Repas des fauves.

T. F : Ah, mais je suis sûr qu’on pourrait.

M. d’A. : Oui. Oui, oui, oui ! Ceci dit, reprendre le rôle magnifique d’André derrière Thierry, quand on a vu la bête sur scène et qu’on a été un peu impressionné comme je l’ai été… Moi, j’aimerais bien qu’on joue ensemble.

T. F : Moi aussi. On en a déjà parlé. Je dis ça parce que je trouve que les acteurs sont souvent un peu… Comment dire…

M. d’A. : (Hurlant en imitant Jean-Laurent Cochet) C’est tous des cons !

« Le type bien dans ses pompes, dans l’absolu, ce n’est pas ce qui est le plus excitant »

T. F : Non, non, mais les comédiens français n’osent pas beaucoup. Et lui (montrant du doigt Maxime d’Aboville), il ose. J’aime les gens qui proposent, qui affirment quelque chose de fort. Il n’essaie pas de ne pas trop déranger. Il ne s’économise pas.

Pour ce qui est d’oser, vous n’avez jamais passé votre tour, en jouant les salauds comme André dans Le Repas des fauves

T. F : C’est vrai que j’ai interprété pas mal de mecs bizarres [notamment Francis Heaulme dans Dans la tête du tueur, pour lequel il a reçu un Emmy Award, NDLR]. Les gens me disent que je joue souvent des salauds, des méchants, des tordus. Pourtant, si on fait le bilan, ça représente 30 % des rôles dans ma carrière. J’incarne aussi des mecs plus normaux, plus sympathiques, amoureux. Mais c’est vrai que les beaux emplois sont souvent là, parmi les gens complexes, torturés, martyrisés, oppressés et oppressants.

Le type bien dans ses pompes, dans l’absolu, ce n’est pas ce qui est le plus excitant et le plus stimulant. En tout cas, je ne m’embarrasse pas, je ne me pose pas de limites. Pour endosser un personnage, je suis prêt à accepter toutes les moralités.

M. d’A. : Là, je te rejoins. Il n’y a pas de morale quand on fait ce métier. Non, justement, on n’est pas là pour juger nos personnages. C’est pour ça que je trouve passionnant de jouer les salauds, les disgracieux, les gens qui n’ont rien pour eux, etc.

Un comédien doit se destituer, abattre la statue qu’on lui dresse tous les jours. Il y en a beaucoup qui ne vont pas supporter l’image que leur rôle leur renvoie d’eux-mêmes. Alors ils vont essayer de tricher, de corriger. Et moi, justement, j’aime bien aller à fond dans des emplois parfois terribles comme Bitos…

C’est presque idéologique chez moi, presque militant. Le rôle social de l’acteur, c’est ça, accepter tout l’éventail de la nature humaine, quitte à déranger les gens, nos proches, quitte à se déranger soi-même. Beaucoup de collègues, inconsciemment, ont du mal avec ça.

T. F : D’ailleurs, il y a une phrase de Michel Bouquet que tu avais reprise dans ton spectacle [Je ne suis pas Michel Bouquet, 2020, NDLR], qui parlait de ça.

M. d’A. : Absolument. Pour un comédien, le plus important, c’est l’oubli de soi. Soit dit en passant, il en a joué des salauds…

Thierry Frémont (au centre), prêt à tout pour survivre dans ce “Repas des fauves”.

Thierry Frémont (au centre), prêt à tout pour survivre dans ce “Repas des fauves”. © Fabienne Rappeneau

Jean-Laurent Cochet, votre professeur de théâtre, vous avait dit que votre emploi serait de jouer les humiliés. Comment l’avez-vous reçu ?

M. d’A. : Sur le coup, je n’avais pas très bien compris. Je l’avais trouvé réducteur. Cochet avait beaucoup de qualités, il était passionnant, mais il avait la religion de l’emploi. Il ne supportait pas que je travaille certains personnages, comme Alceste ou Oreste par exemple. Ça le mettait dans un état indescriptible. J’ai tenté de l’amadouer : « Monsieur Cochet, je ne comprends pas pourquoi je ne peux pas jouer Alceste, tout le monde peut le faire. »

Là, il me disait : « Tu ne comprends rien ? Tous les héros sont grands ! » Et il tournait les talons sans un mot. L’humiliation est en effet un ressort théâtral très puissant et c’est le cas, typiquement, dans le rôle de Bitos, qui est magnifique, un peu burlesque. Est-ce que cette phrase m’a aidé ? Certainement, je n’en sais rien. Il se trouve que Bitos, c’est lui, le premier, qui me l’avait donné à travailler.

Vous êtes tous deux nommés aux Molières dans la catégorie du meilleur comédien dans un spectacle du théâtre privé. L’ayant déjà reçue l’un et l’autre dans le passé, quelle importance revêt cette distinction pour la vie d’une pièce ?

T. F. : C’est important pour nous aussi, pour les acteurs ! (Rires.) Et évidemment pour la pièce. En définitive, je trouve que beaucoup d’interprètes du Repas des fauves auraient pu être nommés à ma place pour leur performance dans ce spectacle. Il n’y a pas que moi. Nous sommes une troupe. Avec cette nomination, je suis heureux de la représenter. Je ne la prends pas que pour moi.

M. d’A. : Il est vrai que pour la pièce, ça donne du crédit. Finalement, la nomination en soi est suffisante, forte. Je veux dire, c’est ce qui compte… On est quatre à être nommés, c’est déjà une reconnaissance magnifique. Ça, déjà, pour la pièce, c’est formidable. Puis après, c’est la cerise sur le gâteau, on va dire.

Comment expliquez-vous que sur un sujet pareil, la salle, qu’on sent sincèrement horrifiée par la situation, puisse rire à ce point ?

T. F. : Vous avez raison, c’est incroyable. Les spectateurs réagissent énormément. Je les entends au premier rang. Je les sens choqués mais aussi, à chacune des fantastiques répliques, leur rire est libérateur. J’ai tendance à croire que le public rit pour ne pas s’identifier à l’un des sept personnages, pour ne rien à avoir de commun avec eux.

« Il y a dans les meilleures pièces une cruauté du rire »

M. d’A. : Les meilleures pièces sont faites de ce bois : il y a une cruauté du rire, comme dans Pauvre Bitos. Anouilh, c’est cela aussi, un clinicien de l’âme humaine, il regarde l’homme en face, ce peut être affreusement cruel et drôle.

Avec Le Repas des fauves, Vahé Katcha a-t-il écrit une pièce sur le courage ?

T. F. : Oui. Il est facile de jouer avec les grands mots en disant : « Moi, moi, moi, j’aurais fait ceci, j’aurais fait cela. » Mais dès qu’on a le flingue sur la tempe, 95 % des gens s’avèrent tout à fait médiocres. Alors oui, il y a peut-être quelques héros, une poignée, mais dans la majorité des cas, les gens perdent toute conscience morale. La sauvagerie revient au galop… Quand je joue cette scène, très dure, où j’envoie Sophie au casse-pipe, j’entends souvent les spectateurs aux premiers rangs dire : « Ah le salaud ! »

Ce doit être jubilatoire, non ?

T. F. : Oui, c’est très drôle. Cela veut dire que les gens sont totalement dedans ! « Ah le salaud ! », c’est le plus bel hommage du public que l’on puisse recevoir. C’est très excitant.

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Par Joseph GARCIA

Responsable édition

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