Du haut de ses 5 ans, Oussam* retranscrit avec ses mots d’enfant et une maturité sidérante ce que les adultes autour de lui – psys, éducateurs, policiers et grands-parents – ont tenté de lui expliquer. Une succession de cassures depuis sa naissance sous les bombes à Baghouz, qui fut le dernier réduit de l’État islamique en Syrie, jusqu’à la séparation d’avec sa mère, en octobre 2022, sur le tarmac de l’aéroport à leur retour en France.
« Moi, je vivais sur une autre planète que la tienne, lance le gamin avec un grand sourire, déterminé à raconter lui-même son histoire. Après, on a pris un avion et ma maman est partie en prison parce qu’elle a fait une grosse bêtise. On m’a donné un nounours Spiderman mais j’étais quand même triste. Après, je suis allé à la pouponnière et maintenant je vis avec papy et mamie. »
Roger* couve d’un regard attendri son unique petit-fils, rencontré au prix d’un bras de fer juridique de trois ans, le temps d’une petite enfance qui a filé derrière les barbelés d’un camp-prison du nord-est syrien, pendant que lui, dans une « urgence vitale », dit-il, remuait ciel et terre pour qu’il soit rapatrié.
«Le but, c’est que le petit retrouve sa maman, et nous, notre camping-car», murmure Monique
« Oussam a vécu deux mois de sa vie sous Daech et, pour ça, il a été condamné à des années d’errance. La France n’en voulait pas », dénonce-t-il, rappelant que l’État français n’a procédé à des rapatriements collectifs de mineurs nés en Syrie qu’après avoir été condamné par plusieurs instances internationales. Incarcérée à son arrivée, sa fille, Mathilde*, risque jusqu’à dix ans de prison. « Ils ne lui feront pas de cadeaux », prédit Roger, conscient du traumatisme encore vivace des attentats de 2015. Le père d’Oussam, lui, n’a plus donné signe de vie depuis trois ans, sans doute est-il mort ou emprisonné quelque part.
Désignés tiers de confiance, Roger et sa femme, Monique*, ont replongé dans la valse des siestes et des biberons trente ans après la naissance de leur dernier enfant. À l’heure de la retraite, qu’ils s’étaient figurée au volant d’un camping-car, à faire « la tournée des vins et des fromages de France ». « Ça ne s’est pas passé comme prévu : notre épargne a été engloutie dans les mandats envoyés à Mathilde quand elle était dans le camp de réfugiés de Roj, et il n’est plus question de partir nulle part désormais. » Le septuagénaire s’empresse d’ajouter : « Attention, le petit, ce n’est pas une charge. À nos âges, c’est sûr que c’est du travail, mais c’est surtout du bonheur. » Une chance, aussi, souligne-t-il, alors que tant de grands-parents bataillent encore pour obtenir un droit de visite des années après le retour des enfants.
En septembre 2023, Oussam a pu faire sa rentrée en moyenne section dans l’école d’un village de Bretagne. Il s’y rend « en chantant », dit Roger en souriant, toujours pressé de retrouver ses copains, vif, curieux de tout. « Il n’était pas comme ça quand on l’a récupéré, précise Monique. On a mis des mois à établir une relation de confiance. À son arrivée, il avait peur des hommes. Les seuls qu’il connaissait, c’était des militaires kurdes. » Le couple souhaitait lui donner un prénom « moins marqué » pour faciliter son intégration et tourner la page, mais les éducateurs du service de protection de l’enfance les en ont dissuadés. « Ils craignaient une nouvelle rupture. Après tout ce qu’il a vécu, il n’était pourtant pas à ça près. »
Chez le psy, Oussam n’exprime ses émotions qu’en couleurs
Dans la jolie chambre aménagée pour lui, un planning est accroché au-dessus du lit du garçonnet où sont inscrits les jours de parloir avec sa mère, une heure et demie deux fois par mois. Oussam les attend avec impatience, barre consciencieusement les jours qui le séparent de la prochaine visite – chaque fois une petite fête, qui se termine dans les pleurs et les questions sans réponse. « Il ne comprend pas pourquoi il doit repartir sans sa mère, confie Monique. Pour lui, la prison, c’est pour les voleurs. Mais la géopolitique expliquée à un enfant de cinq ans… On laisse ça aux psys. » Des psys, Oussam en a vu tellement qu’il exprime ses émotions avec un code couleur : bleu quand il est heureux, rouge quand il est en colère, rose quand il est amoureux, « et parfois tout en même temps », explique l’enfant.
Sa mère, « celle qui est partie », comme disent ses parents, est diplômée en commerce international. Une jeune fille effacée et peu sûre d’elle, qui s’est convertie à l’islam radical après une fausse couche et la rencontre avec un Tunisien de dix ans son aîné. « On n’a rien vu venir, souffle sa mère. Elle ne se voilait jamais quand elle nous rendait visite. Même son mari, on ne peut pas en dire du mal. Il était pratiquant mais pas chiant. » Jusqu’à ce message, reçu un jour de juillet 2015 : « On part pour un mariage en Tunisie. Il n’y a pas de réseau là-bas, ne vous inquiétez pas. » La sœur aînée de Mathilde finit par lui arracher l’aveu qu’elle se trouve à Mossoul. « On était K.-O., se souvient Roger. La maison te tombe dessus. Tu ne comprends pas, tu culpabilises, tu te demandes pourquoi toi. »
«En les laissant en Syrie, on prend le risque de les exposer à des séquelles irréversibles», alerte un spécialiste
Monique en a perdu la moitié de ses cheveux, tombés par poignées. Rongée par une colère mêlée de culpabilité, elle a longtemps refusé de parler à sa fille, pendant que son mari maintenait un lien fragile par SMS. Jusqu’à la naissance d’Oussam, quand sont arrivées les premières photos du bébé et les demandes de conseils d’une jeune maman angoissée à la sienne. « Malgré l’éloignement, cet enfant m’était terriblement familier, murmure Monique, qui veille à ne jamais jouer les mères de substitution. Le but, c’est que nous ne soyons que de passage. Que le petit retrouve un jour sa maman, et nous, notre camping-car. »
Jouer les « mamies gâteaux », pouvoir emmener un jour ses trois petits-enfants à Center Parcs, c’est le combat que mène Catherine* depuis près de deux ans. Sur la table de la cuisine, la commerçante a disposé une pile de dossiers. « Je suis plus procédurière qu’une avocate », plaisante-t-elle en exhumant les innombrables courriers adressés à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et à l’aide sociale à l’enfance (ASE), ainsi que les lettres écrites aux petits quand ils étaient « là-bas ». Le dernier est né quinze jours avant la chute de Baghouz. « Ma fille a accouché dans une tranchée, à même la terre, sous les bombardements. »
Clémentine* a rejoint l’État islamique en 2014, après avoir été « embobinée » par un recruteur à la sortie de son lycée professionnel, raconte sa mère. Un « beau mec charismatique » dont elle tombe amoureuse. Pour lui plaire, l’apprentie pâtissière se met à fréquenter une mosquée salafiste ayant formé de nombreux candidats au djihad. « C’est une secte. En moins d’un an, elle portait la burqa et lâchait son boulot. Vous imaginez le choc dans notre famille de Bretons pur jus ! » Inquiète, Catherine fait un signalement à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).
Insuffisant à enrayer la spirale infernale. Clémentine contracte un mariage sur Facebook via la djihadosphère et s’envole pour la Turquie. Après un mois sans nouvelles, sa mère reçoit un appel depuis Mossoul. « On s’en veut, forcément. Je me demanderai toujours ce que j’ai raté. » Impuissante à changer le cours des choses, Catherine a consacré toute son énergie à convaincre sa fille de rentrer lorsque celle-ci s’est retrouvée enfermée dans le camp de réfugiés d’Al-Hol, après la chute de Daech. La jeune mère a fini par accepter d’être rapatriée en 2022, « pour le bien des petits ».
Scolarisés dans un village de l’ouest de la France, les trois enfants sont ostracisés et traités de «petits terroristes».
À leur arrivée en France, ces derniers ont été confiés au service de protection de l’enfance pendant que leur mère était incarcérée. « Moi, j’attendais naïvement un coup de fil de l’ASE, raconte la grand-mère. Quand j’ai enfin obtenu un rendez-vous, deux mois après leur retour, on a refusé de me dire où ils se trouvaient. J’ai eu l’impression d’être une dangereuse criminelle. » Ce n’est qu’un an plus tard que Catherine a pu rencontrer pour la première fois ses petits-enfants, âgés de 5, 7 et 9 ans, à l’occasion d’une visite médiatisée. « J’avais rêvé qu’ils me tombent dans les bras, qu’ils me posent plein de questions. Mais j’ai vite senti que j’étais une étrangère pour eux. À la fin, j’ai quand même eu droit à quelques bisous furtifs, j’étais contente. »
Pour la deuxième visite, programmée deux mois plus tard, la grand-mère prévoit un atelier guirlandes de Noël. Mais une semaine avant, celle-ci est annulée. « On m’a dit que les petits ne voulaient pas me voir. Ils ont dit à la juge que leur mère était méchante et que moi, ils n’avaient pas envie de me connaître. » Catherine se bat, écrit à la magistrate, qui finit par imposer un droit de visite obligatoire à son domicile toutes les six semaines. La dernière fois, ils ont fait une chasse aux œufs dans le jardin. « Ils commencent à prendre possession de la maison. Ça va mieux, sourit-elle, mais je sais que je n’ai pas le droit de me planter. La dernière chose que je veux, c’est les inquiéter davantage. »
La fratrie est encore profondément marquée par les trois années passées dans les camps de réfugiés syriens, livrée à la violence et à la faim, à l’absence d’éducation et de soins. « Je n’oublierai jamais leur air hagard lorsqu’ils sont arrivés chez nous, témoigne l’assistante familiale à qui les enfants ont été confiés. Ils semblaient débarquer d’une autre galaxie. Ils n’avaient plus d’ongles à force d’avoir marché pieds nus, le cadet avait une grave brûlure au bras. On a dû les faire vacciner, les emmener chez le dentiste, tout reprendre de zéro. » Les premiers temps de leur scolarisation, dans un petit village de l’ouest de la France, ont également été douloureux, confie-t-elle. L’institutrice était terrorisée, les parents d’élèves aussi.
Le directeur a dû intervenir : les enfants étaient traités de petits terroristes, moqués et ostracisés, « alors que ce sont des gamins cabossés qui ne demandent qu’à être aimés, se désole leur référente. Ils sont collés à moi comme des berniques ». L’aînée lui a confié un jour avoir dû voler pour nourrir ses petits frères. Le plus jeune a longtemps fait des cauchemars peuplés de boules de feu tombées du ciel et de loups-garous – les gardiens du camp, suppose-t-elle. Les mauvais rêves ressurgissent après chaque parloir avec leur mère. « Pour les y conduire, on doit les forcer à monter dans la voiture. Et dans les jours qui suivent, le plus jeune se remet à faire pipi au lit et se gratte jusqu’au sang. »
Pour ces enfants polytraumatisés, dont le développement psychomoteur s’est déroulé « sur zone », selon la litote consacrée, le retour en France ne signifie pas la fin des difficultés. « Il y a plein d’enjeux qui les attendent, rappelle le Dr Bosc : la scolarisation, l’adaptation à la culture française, les visites en prison, la rencontre avec la famille élargie… » À la tête du service de pédopsychiatrie de l’hôpital Avicenne, en Seine-Saint-Denis, où ont été suivis une centaine de jeunes revenants depuis 2017 – dont la moitié n’avaient pas 7 ans à leur arrivée en France –, le psychiatre constate une amélioration immédiate dès leur prise en charge. Selon les rapports de l’ASE et de la PJJ, loin d’être des « bombes à retardement », les quelque 300 enfants rapatriés de Syrie ont un parcours de réintégration moins compliqué que celui d’autres mineurs placés sous protection. « Il y a bien sûr des choses indélébiles, comme le deuil d’un père ou des traumatismes de guerre, mais ils s’adaptent et se reconstruisent avec cette base. C’est en les laissant là-bas qu’on prend le risque de les exposer à des séquelles irréversibles », alerte le spécialiste.
Hocine n’a jamais supporté la vision de sa belle-fille en niqab
Près d’une centaine de petits Français vivent encore dans le dédale poussiéreux du camp de Roj, enfants fantômes punis au même titre que leurs parents. Parmi eux, les trois petits-enfants de Joëlle et Hocine. « Ça nous tue de les savoir là-bas, confie le couple de retraités installé à Trappes. On a déjà perdu leur sœur dans les bombardements, elle avait 9 ans. Ces trois gamins, c’est tout ce qu’il nous reste. » Leur fils aîné, Karim, le père de la fratrie, a été déclaré mort au combat par l’État islamique en 2015 – deux jours avant que son cadet, lui aussi radicalisé, ne rejoigne également l’Irak. « Lui, il a eu la bonne idée de se faire exploser quelques mois plus tard à Mossoul », lâche Joëlle, rongée par une colère qui ne l’a plus quittée depuis près d’une décennie. Mère de kamikaze, un mot qu’elle n’arrive toujours pas à prononcer. « On ne guérit pas de ça, dit-elle. J’ai mal comme hier. »
À ses côtés, son mari essuie une larme silencieuse. « Je n’ai toujours pas compris ce qu’il s’était passé. Nous avons bien élevé nos garçons. Ils étaient gâtés, sportifs. » De confession musulmane, Hocine n’a jamais supporté la vision de sa belle-fille en niqab, choisie par son fils à travers un rideau chez un « frère », à Trappes. Il a même refusé d’assister à leur mariage. Aujourd’hui, la veuve rejette l’idée de rentrer en France, « pays de mécréants », condamnant ses deux adolescentes et le petit dernier, âgé de 8 ans, à une vie encagée.
Le couple envoie chaque mois un mandat de 500 euros, un quart de leur retraite, pour tenter d’adoucir leur quotidien. Ils songent parfois à arrêter pour forcer leur belle-fille à rentrer, aussitôt rattrapés par la culpabilité et la peur de faire souffrir les enfants. « On est plus tout jeunes, souffle Joëlle. Qu’est-ce qu’il se passera si on ne peut plus rien envoyer ? » C’est elle qui maintient le lien avec la mère des enfants, toujours sur le fil. « On échange des banalités. J’ai peur qu’elle trouve mes questions trop intrusives et qu’on n’ait plus de nouvelles. » Un sourire fugace éclaire le visage d’Hocine lorsqu’il propose de faire écouter le dernier message laissé par son petit-fils. Le grand-père ne connaît de lui que la voix, et le regard coquin qu’il devine à travers les rares photos envoyées par sa mère. Un joyeux « Salam aleikoum, Papy, ça va ? » résonne dans le petit salon. « J’espère pouvoir le rencontrer avant ma mort », murmure le presque octogénaire avant de quitter la pièce, incapable de retenir davantage ses sanglots.
L’écrit initial est réédité de la manière la plus honnête que possible. Pour toute observation sur ce sujet concernant le sujet « men chastity », veuillez utiliser les coordonnées indiquées sur notre site web. sexymendirectory.net vous a préparé ce post qui débat du sujet « men chastity ». sexymendirectory.net est une plateforme numérique qui globalise diverses infos publiées sur le web dont le sujet de prédilection est « men chastity ». Il y a de prévu plusieurs articles sur le sujet « men chastity » dans quelques jours, nous vous invitons à consulter notre site web aussi souvent que possible.