C’est un symbole de persévérance et de longévité. Mélina Robert-Michon a tout connu dans sa carrière, des débuts timides aux Jeux olympiques de Sydney 2000 à la consécration de la médaille d’argent à Rio 2016, en passant par la déprime de Tokyo 2021. A bientôt 45 ans, la lanceuse de disque est pourtant dans une période exceptionnelle, tout sourire à l’annonce de ses objectifs de médailles pour les Jeux de Paris, et surtout de sa volonté d’être porte-drapeau de la délégation française le 26 juillet sur la Seine. Robert-Michon, figure maternelle et protectrice de l’équipe de France d’athlé, a envie de montrer que tous les parcours sont possibles dans le sport, afin d’inspirer les futures générations. Son palmarès et son capital sympathie font d’elle une des principales favorites à l’élection de porte-drapeau.
Mélina, vous disiez avant les Jeux olympiques de Tokyo en 2021: ‘Je n’ai jamais osé rêver des Jeux quand j’étais petite depuis ma campagne Iséroise. » Vous vous apprêtez à disputer vos 7e JO, et on parle de vous comme potentielle porte-drapeau. Vous réalisez?
Non je ne réalise pas. Et quand je repense à la jeune fille que j’étais à Sydney en 2000, je ne pensais même pas encore être là six éditions plus tard et avoir vécu tout ce que j’ai pu vivre. Mais c’est ça qui est chouette et c’est la raison pour laquelle je ne m’ennuie pas et que je continue. Tout est imprévisible, c’est la beauté du sport.
Un de vos meilleurs souvenirs olympiques, c’est votre première cérémonie d’ouverture à Sydney. Imaginer mener la délégation française cet été, qu’est-ce que ça vous inspire?
C’est fou quand je repense à cette première participation… Quand je suis entrée dans le stade, j’étais perdue. Les gens qui m’avaient vue à la télé me disaient que je ne savais même pas où regarder tellement j’étais impressionnée. Me dire que j’aurais peut-être la chance d’emmener tous ces athlètes, du tout petit jeune qui débarque au mec le plus expérimenté, c’est fantastique. Vivre ça en France, à Paris, je n’ai même pas de mots pour décrire ça en fait.
« Je préfère ne pas m’enflammer, cela reste une élection »
La boucle serait bouclée finalement? Ou vous n’excluez pas la cérémonie d’ouverture de Los Angeles 2028?
Ça me paraît dur mais à chaque fois que j’ai dit ça… (sourire) Mes « premiers » derniers Jeux, c’était 2012.. Je ne dis plus rien mais je profite, je vis le truc à fond et on verra mais ça paraît compliqué.
Il n’y a pas eu de porte-drapeau venu de l’athlé depuis 1996. Avec votre palmarès, le capital sympathie que vous dégagez, vos deux enfants, tous les feux sont au vert pour que vous soyez élue porte-drapeau, non?
Je préfère ne pas m’enflammer. Mais en tout cas, je fais partie des potentielles, mais chez les femmes il y en a plusieurs. C’est ce qui fait la force de la France. Il y a des athlètes féminines puissantes, motivées et inspirantes, la liste est longue. Après, me dire qu’aucun athlète de l’athlétisme depuis Marie-Josée Perec n’a été porte-drapeau, c’est fort. C’est vraiment le monument de l’athlé français et même du sport français.
Est-ce que vous êtes inquiète du format du vote (tous les sportifs français qualifiés voteront) ? Par exemple en 2021, Renaud Lavillenie faisait office de favori et il a perdu face au gymnaste Samir Aït-Saïd, moins attendu…
Ça reste une élection donc chacun à ses critères. Pour certains, ce qui compte sera le parcours, pour un autre, la médaille ou l’inspiration. C’est imprévisible et je ne peux pas me projeter puisque je ne sais pas ce que vont choisir les athlètes. J’espère qu’ils me choisiront mais il n’y a pas de mauvais choix. On ne peut pas le savoir, et en plus on connaîtra le résultat assez tard dans la saison. Quoi qu’il en soit, ça ne m’empêche pas de me préparer et d’être prête si les athlètes le décident. Je serai ravie, honorée mais voilà, c’est une élection et on ne connaît pas l’issue.
Si vous n’êtes pas élue, ce sera une déception, une anecdote ou un cauchemar?
Forcément ce sera une déception. Je ne vais pas faire genre je m’en fous. Si je dis que j’en serais fière et honorée, c’est parce que c’est important donc il y aura de la déception. Ça n’empêche qu’il y aura la compétition derrière et que je devrais être forte.
Qu’est-ce qui a changé depuis Tokyo 2021? Vous étiez déjà la candidate de la Fédération Française d’Athlétisme mais on n’a quasiment pas parlé de vous. Vous clamez peut-être médiatiquement cette envie plus fort en 2024?
C’est moi et je n’ai pas envie d’être quelqu’un d’autre. J’espère que c’est ce qui plaira aux athlètes. J’ai mon parcours. J’ai aussi l’envie de montrer qu’il y a plein de parcours différents, le mien est atypique, ça peut inspirer d’autres sportifs. Je ne changerais pas ce que je suis et je pense que c’est important que les athlètes votent pour ce que je représente. J’ai toujours fonctionné comme ça, s’il n’y a pas de lumière ce n’est pas grave mais ça ne m’empêche pas d’avancer.
Vous essayez de vous vendre auprès des athlètes, comme une sorte de campagne politique?
Non, après le but c’est d’échanger et en parler pour que les athlètes fassent leur choix en connaissance de cause. Qu’ils se disent « J’ai envie de voter pour elle car je la connais » ou « je ne veux pas à cause de son parcours ». Mais quand tu ne connais pas, tu ne peux pas avoir d’avis. Donc voilà ce que je suis, à vous de choisir.
« Si je peux aider, ce sera avec plaisir, même si je ne suis pas porte-drapeau »
Quelle porte-drapeau vous seriez? Une protectrice, à l’image de votre rôle en équipe de France d‘athlétisme?
Mon expérience me servira et j’ai envie de partager. Je le fais déjà beaucoup car le sport pour moi c’est le partage, des échanges, apprendre les uns des autres. Il y aura un côté un peu maman, à vouloir que tout le monde réussisse. J’ai connu un peu toutes les situations. D’abord en arrivant toute jeune, pas forcément préparée à tout ça. Puis j’ai été favorite, j’ai vécu des joies et des déceptions. Si je peux aider, tant mieux. J’aurais aimé avoir cette possibilité d’échanger et d’aller voir quelqu’un qui me comprenne. Si je peux le faire, ce sera avec plaisir, même si je ne suis pas porte-drapeau d’ailleurs.
Est-ce que vous avez été impressionnée par un porte-drapeau en particulier sur une édition précédente?
Je n’ai pas toujours eu des échanges avec les porte-drapeaux car l’athlé arrive en deuxième semaine et certains étaient déjà repartis. Mais c’est une fierté d’être représentés par un athlète, j’en ai connu quelques-uns. Je me souviens de Tony Estanguet à Pékin 2008, je le vois encore avec cette fierté, cette émotion sur son visage, c’était fort.
Une cérémonie d’ouverture sur la Seine, hors stade, ça rend l’émotion plus forte encore?
Ce sera différent, une chose que je ne connais pas. J’ai toujours connu le tour d’honneur dans le stade mais j’ai hâte de voir ce que ça peut donner sous ce format-là.
Pour être porte-drapeau, évidemment il faut être qualifiée aux Jeux. Vous n’avez pas réussi les minima encore (64m50) mais vous êtes 10e au ranking mondial du disque. Sauf catastrophe, vous serez au Stade de France…
C’était une stratégie de qualification depuis la saison dernière. Je n’avais pas fait les minima pour les Mondiaux de Budapest 2023. Donc en fin de saison, je fais les meetings qu’il faut pour avoir des points. Et c’est un matelas de sécurité. Le but c’est de faire les minima mais on ne sait pas ce qui peut se passer. Grâce à ce ranking fort, on peut choisir les compétitions qu’on veut pour la préparation jusqu’à Paris 2024. Ça évite des gros déplacements, des décalages horaires. Il faut être prêt le jour des Jeux. Comme c’était le cas à Rio en 2016. Être forte avant les Jeux, je m’en fous. Je veux faire ma performance le jour des Jeux.
62m48, c’est votre meilleur jet de la saison pour le moment. Comment vous jugez votre début de saison?
Pas suffisant forcément car on vise toujours plus. C’est malgré tout intéressant car c’était en Coupe d’Europe et je termine 3e. Le déroulé du concours aussi. Je repasse 4eavant mon dernier essai et je suis capable d’élever le curseur pour reprendre ma place. Je fais un concours très régulier, avec trois ou quatre jets au-delà de 62m. J’ai une base solide qui est posée. Quand c’est régulier, normalement il y a une perf’ de pointe qui sort, la frustration est là dans cette Coupe d’Europe car elle n’est pas sortie.
La bonne nouvelle aussi, c’est que vous avez changé d’entraîneur après Tokyo 2021 (Serge Debié a pris sa retraite, et Loïc Fournet, le mari de Mélina, lui a succédé) et vos performances n’ont pas décliné…
Au contraire, j’a construit ces trois ans pour arriver au top niveau à Paris. On a monté le curseur la saison dernière, qui a été très régulière. En moyenne de lancers, c’était ma meilleure saison, on a fait les statistiques. Il a manqué encore cette performance de pointe. Il faut monter encore cette régularité et chercher cette performance de pointe à Paris.
Battre votre record de France (66m73), qui date de 2016, est-ce que c’est crédible?
Moi j’y crois sinon j’aurais arrêté. Le but, ce n’est pas d’aller participer aux Jeux… c’est chouette mais je connais. Le mieux ce sont les performances. Et je me sens compétitive. Si je ne m’arrête pas, ce n’est pas parce que je ne sais pas quoi faire après. Je m’éclate dans ce que je fais. Vu ce que je fais à l’entraînement, je sais que je suis en capacité de le faire. C’est pour ça que je m’entraîne dur. Après, est-ce que j’aurais une médaille? Je n’en sais rien, ça reste du sport. Je fais tout ce qu’il faut pour. Je veux battre mon record. Ça paraît compliqué mais moi je sais que c’est possible.
Les deux derniers podiums mondiaux, à Eugene et Budapest, se sont joués au-delà de 68m20. C’est encore un cran au-dessus…
Je sais qu’avec 66m je n’aurais pas de médaille. C’est pour cela que je veux batte mon record, avec 68 ou 69m pour être sur le podium.
« Paris ne sera pas mon dernier championnat »
Imaginons que vous battiez votre record de France, ça vous donnerait envie d’aller jusqu’à Los Angeles 2028?
Honnêtement ça me paraît compliqué mais en tout cas, Paris ne sera pas mon dernier championnat car je ferai la saison 2025. Je veux retourner aux Mondiaux de Tokyo pour voir ce stade olympique avec du public au contraire de 2021, où ce stade vide m’avait marqué. Et je ne voulais pas non plus que le soir de Paris 2024, tout s’arrête d’un coup et la lumière s’éteint. J’ai encore envie d’en profiter. Ce qui m’a permis de durer, c’est de ne pas viser trop loin.
« Je pense que cette équipe de France d’athlétisme a des potentiels (médaillables) »
Comment vous sentez l’équipe de France d’athlétisme? Avec une seule médaille aux Mondiaux l’été dernier, un Kevin Mayer toujours pas qualifié… Pour le coup, les feux ne sont pas au vert…
Je pense quand même qu’on a des potentiels. Sur 800m, Tual, Robert ou Meziane, sur les trois il y en un qui va sortir. Hilary Kpatcha à la longueur. Je n’ai pas revu Kevin Mayer depuis un moment mais je ne m’en fais pas pour lui. Thibault Collet à la perche a montré qu’il avait le niveau pour le podium. L’athlé a de belles chances mais ça se joue à rien, c’est le truc le cruel au monde. C’est le jeu. A voir, comment cela va tourner.
Article original publié sur RMC Sport
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