Rendez-vous avec Fabrice Rose : « J’ai vécu en prison comme un mec libre, grâce à la littérature et à mon mental

Il est arrivé en avance. Son sac de voyage à ses côtés, le crâne chauve, un blouson noir style Bombers sur le dos, Fabrice Rose nous attend à La Terrasse de Bercy (Paris 12e). Est-ce une habitude – celle de repérer les lieux – qui lui vient de son ancienne vie de braqueur ? La terrasse est bruyante, on s’installe à l’intérieur de cette brasserie aux banquettes et aux tables rouges. C’est tout aussi bruyant, mais Fabrice Rose aime bien la musique qu’on y passe.

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Celui qui, à 70 ans, est devenu auteur de polars – il sort le troisième tome de sa trilogie* chez Robert Laffont, Pourchassés – embraye tout de suite sur sa passion pour le jazz et sa première rencontre avec Billie Holiday. On plonge dans une autre époque. La scène se passe près de la porte de Clignancourt, Fabrice a 18 ans, ce n’est pas encore un hors-la-loi. Ce soir-là, « un mec (le) cherche » ; pas de chance, ce dernier est boxeur. Le jeune homme blond n’en mène pas large, mais il n’est pas du genre à baisser la tête. Il finit « la gueule en sang » et se réfugie dans un bistrot : « Et là, Billie Holiday chantait “Don’t Explain”… »

On se croirait dans un film, en version accélérée. Car Fabrice Rose, qui a officiellement atteint l’âge de la retraite, vit toujours en homme pressé. C’est avec un débit de mitraillette, le blouson toujours sur le dos – une autre habitude de sa vie d’avant ? – et les coudes sur la table qu’il conte son parcours hors norme. Entre regrets et nostalgie.

À LIRE AUSSI Rendez-vous avec Yves Jobic : « Quand j’étais flic, on avait une mentalité de chasseur, pas de fonctionnaire » Billie Holiday, donc. La chanteuse le suivra derrière les barreaux, ainsi que Charlie Parker, John Coltrane, Maria Callas et bien d’autres. « En détention, j’ai eu cette chance d’être seul en cellule, j’écoutais beaucoup France Culture. » Et il en a eu des heures, des jours et des nuits, Fabrice Rose, pour écouter des CD, des émissions de radio et lire des livres : il a passé vingt-cinq ans de sa vie en prison. Des braquages à répétition qui le conduisent à chaque fois dans une nouvelle « taule » – il en écumera une trentaine –, avec des peines qui deviennent de plus en plus lourdes.

« Sans haine ni violence »

Et pour cause, ce « pilleur de banques professionnel » ne pense qu’à recommencer, à partir en cavale ou à se faire la belle. Il fait partie de ceux que les flics appelaient les « beaux mecs », dans les années 1980, ces voyous à l’ancienne qui avaient encore un certain code d’honneur. « Sans haine ni violence », telle était la devise de Rose le braqueur. « Je n’ai pas de sang sur les mains », tient-il à préciser. Pour preuve, il explique sa méthode quand il « montait » sur un braquage : jamais de balle dans le canon de son arme et le cran de sûreté toujours activé.

Issu d’un milieu petit-bourgeois, Rose grandit à Amiens entre un père ancien pilote de la Royal Air Force, héros de la Seconde Guerre mondiale, une mère anglaise, femme au foyer, et quatre frères et sœurs. Il tombe un peu par hasard dans les braquos. « J’ai détesté l’école », dit-il en préambule à son parcours de délinquant. La faute à une institutrice qui, dans les années 1950, s’évertuait à vouloir redresser ce gaucher à coups de règle sur la tête et de mains dans le dos. Il tient jusqu’à la troisième puis, plus rebelle que jamais, claque, à 17 ans, la porte de son CAP photo. « Je voulais risquer ma vie, être photographe de guerre. » Son père lui achète une moto, il manque de se tuer. Dans sa bande de motards, deux apprentis braqueurs. « Je veux être avec vous », leur dit-il. « Je n’avais aucune idée de ce qu’était un braquage. »

J’assume, je voulais être hors la loi !

Pour son premier, en 1973, une Société générale de la banlieue d’Amiens, il se contente de faire le chauffeur et le guet. Mais il se fait coincer avec sa clique, tous mineurs (la majorité est alors à 21 ans). Il écope tout de même de quatre ans de prison. Son père, seul majeur solvable, doit rembourser la banque. Le fils, fier, jure qu’il lui redevra ça : à peine sorti de prison, il… braque une autre banque. Le paternel refuse l’argent. Et c’est parti pour deux ans de cavale ! Le temps de se professionnaliser. « J’ai monté une équipe avec des mecs rencontrés en prison », explique-t-il. Pour lui, la prison, c’est « le vivier du crime », là où il a appris les rudiments : comment se procurer une arme, comment écouter les fréquences de police…

Pourquoi ce fils gâté, ce « sale gosse » – comme l’appelait affectueusement son père – qui n’a jamais manqué de rien, récidive-t-il ? L’argent, il s’en « fout un peu ». L’adrénaline (« la meilleure des cames ») et le goût du risque l’emportent. « J’assume, je voulais être hors la loi ! Ça vous donne toutes les libertés, même si je ne le recommande pas. »

Son dimanche idéal : À Vichy, dans son bureau, où il écrit en silence de 13 heures à 21 heures. En général, Fabrice Rose ne connaît pas l’angoisse de la page blanche, mais, pour son dernier opus, Pourchassés, il y a été confronté. « Je ne me décidais pas à faire mourir un de mes personnages. »

Libre, même « au placard » ? Celui qui a tenté par trois fois de s’évader jure que oui. « J’ai toujours vécu en prison comme un mec libre, grâce à la littérature et à mon mental. J’avais choisi de faire ça, donc je n’avais pas à me plaindre. Quand j’entendais des mecs en prison qui se disaient victimes de la société, je leur disais : “Lisez des mecs qui ont été enfermés pour leurs idées en Russie, en Chine… Lisez L’Archipel du Goulag de Soljenitsyne, les Récits de la Kolyma de Chalamov, Souvenirs de la maison des morts de Dostoïevski… Tous ces auteurs m’ont vraiment construit intellectuellement. »

J’ai commencé à étudier la philo à la Santé.

Car c’est bien en cellule que Fabrice Rose, aujourd’hui bénévole pour l’association Lire pour en sortir, a découvert la lecture. « J’ai longtemps été en centrale avec Georges Ibrahim Abdallah [le plus vieux prisonnier politique de France, NDLR]. En promenade, on parlait de politique, de littérature, des bouquins qu’on lisait… Ma plus grande évasion, c’est les livres. »

À LIRE AUSSI Rendez-vous avec Léa Todorov : « Le pire, c’est la pitié, c’est abominable ! » Dans la dernière centrale qu’il a fréquentée, à Moulins-Yzeure (Allier), l’une des plus sécuritaires de France à l’époque, il va même créer une bibliothèque. Le goût d’écrire, lui, viendra plus tard. Au mitard. À la fin des années 1990, à Gradignan, pour occuper quarante-cinq jours en quartier disciplinaire, il pioche dans un carton quelques livres, dont Pylône de William Faulkner.

« À la page 30, il y a 10 pages qui manquent… À la page 60, il en manque encore… » Il explique qu’en prison les détenus arrachent souvent les pages, notamment pour se rouler des cigarettes. Et poursuit : « Je prends un cahier de brouillon et j’essaye de reconstituer l’histoire. » Un an plus tard, dans une autre prison, le voilà à nouveau au mitard, en compagnie de Faulkner et de Sanctuaire, cette fois-ci. Idem, il tente d’écrire les pages manquantes et là il se dit : « Merde, je peux écrire ! » « C’est aussi une revanche contre l’école, analyse-t-il. Ensuite, j’ai commencé à étudier la philo à la Santé, un prof venait me voir toutes les semaines. »

J’ai donné ma parole à ma fille. Et je n’ai pas trahi ma parole.

Si Rose est passé de braqueur à auteur, c’est un peu grâce à Faulkner et beaucoup grâce à sa fille. Alexandra, c’est l’héroïne de son premier livre, Tel père, telle fille (Prix Bête noire des libraires, 2020), l’histoire d’un papa gangster épris de vengeance et de sa fille en danger de mort. Alexandra, dans la vraie vie, ne voyait son père qu’à travers les parloirs des prisons.

Un dimanche de 2000, à 22 ans, elle se rend à la centrale de Moulins-Yzeure. « D’un coup, elle se met à pleurer… » Silence. Fabrice Rose reprend, la gorge nouée : « Je lui dis connement : “Qui est-ce qui t’a fait du mal ?” Elle me dit : “Toi. Je veux que tu arrêtes.” Et là j’ai pris conscience… Hors-la-loi, on n’a pas le droit d’avoir d’enfants car on n’est pas là pour s’en occuper, réalise alors ce père de deux enfants et désormais grand-père. Petite, à l’école, elle disait que son père était parti photographier des lions en Afrique… alors que j’étais au placard. » Les yeux embués, la voix à peine audible, il souffle : « J’ai donné ma parole à ma fille. Et je n’ai pas trahi ma parole. » La page est tournée, Rose le braqueur, c’est terminé.

Fabrice Rose est un roman à lui seul. Plusieurs éditeurs lui ont d’ailleurs proposé d’écrire son histoire, ça ne l’intéresse pas. Bien sûr, il s’inspire de sa vie dans ses polars, mais ce qu’il aime, c’est la fiction, les aventures à couper le souffle portées par des bandits attachants. Quand il se met dans la peau de Marc Man, son héros, et de son gang, il retrouve sans doute un peu de cette adrénaline qui l’a fait tenir pendant toutes ces années de hors-la-loi.

Des hold-up pour financer des concerts de jazz

Aux assises de la Gironde, en 1996, l’expert psy ne s’était pas trompé : il relevait déjà « une vie imaginaire particulièrement riche » chez celui qui comparaissait pour avoir commis six hold-up dans des banques du Sud-Ouest et qui fut condamné à dix-huit ans de prison. Son butin de 2, 2 millions de francs lui servira en partie à organiser des concerts de jazz. Il a ainsi fait venir le pianiste Randy Weston à Bordeaux, et la chanteuse Dee Dee Bridgewater, à qui il avait écrit en prison. « Le lendemain du concert, on fait un tour dans les vignes du Médoc, et là, au soleil levant, Dee Dee s’est mise à chanter a capella… C’est un des plus beaux jours de ma vie ! »

Douze ans après sa dernière condamnation, il sort définitivement de cette spirale. Ce 23 décembre 2005, il longe le mur de la centrale de Moulins, passe sans se retourner sous le mirador et dans sa tête lui vient cet air d’Axel Bauer : « Cargo de nuit, trente-cinq jours sans voir la terre… » Dehors, en cette veille de Noël, il est choqué par la « violence » qu’il retrouve dans les rues de Paris.

Aller casser des écoles, brûler des bibliothèques, les bagnoles du voisin, moi, ça me dépasse…

« La délinquance d’aujourd’hui, je ne la comprends pas… Ça me dépasse totalement », dit celui qui retourne régulièrement en prison pour organiser des ateliers de lecture-écriture. « Je vois des mineurs de 13-14 ans qui sont tombés pour stups, c’est de la chair à canon, ces gamins ! Je leur dis : “J’ai passé vingt-cinq ans de ma vie au placard, j’ai commencé à travailler à 50 ans, je n’aurai pas de retraite. C’est ça que vous voulez ?” Ils s’en foutent, ils sont imperméables à ce qu’on leur dit. » Il n’a pas compris non plus la violence de certains jeunes qui s’est manifestée après la mort de Nahel en juin dernier : « Aller casser des écoles, brûler des bibliothèques qui sont pour eux, les bagnoles du voisin, moi, ça me dépasse… »

Lui se souvient qu’il n’a jamais volé de voitures de particuliers : « On volait les voitures des concessions ! » C’était une autre époque, une « belle époque » pour les braqueurs, finalement, reconnaît-il, même si ce n’est pas politiquement correct de le dire. Ils n’étaient pas géolocalisés, ils pouvaient partir des années en cavale, leurs bagages n’étaient pas soumis aux rayons X des aéroports. « Quand je prenais l’avion, mes armes étaient dans mon sac en cabine, au-dessus de ma tête. »

Près de deux heures plus tard, dans ce café de Bercy, Fabrice Rose nous quitte. Son train pour Vichy l’attend. Il reprend son sac de voyage. À l’intérieur, pas de billets ni d’armes, mais plein de livres et de souvenirs qu’il racontera sans doute un jour à ses petits-enfants.

*Tel père, telle fille (2020) et Le Plan (2022), collection La Bête noire, Robert Laffont.

Chaque dimanche, « Le Point » a rendez-vous avec des personnalités connues et moins connues du monde de la culture, de la télé, du cinéma, de la gastronomie, du sport, de l’entreprise… Ils et elles se prêtent au jeu de l’entretien intime, nous racontent leur parcours, parfois semé d’embûches, nous livrent quelques confidences et nous donnent leur vision de la société.



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Par Joseph GARCIA

Responsable édition

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